
NARCISSE BOULANGER: Monsieur Verne, je suis
vraiment très heureux d'avoir retrouvé cet instrument. Voilà bientôt 20
ans que je l'avais offert à Monsieur Coze, l'un de vos prédécesseurs.
EMILE VERNE: C'était en 1890, je crois.
NARCISSE BOULANGER: Exactement, regardez,
c'est là gravé en haut du pavillon« offert par Narcisse Boulanger, maire
de Guînes » et la date: «1890».
EMILE VERNE: Oui oui M'sieur l'maire, un
bel instrument!
NARCISSE BOULANGER: Oui, en 1890, cela
faisait deux ans que j'occupais les fonctions de maire à Guînes.
EMILE VERNE: Je pense que je vais donner
cette trompette à Emile Lefebvre, son instrument est en réparation
depuis plus de deux mois!
NARCISSE BOULANGER: Ah! J'étais fier,
d'abord capitaine des pompiers, puis maire de Guînes... Quel beau
parcours j'avais fait là ! Vraiment, j'étais heureux!
EMILE VERNE: ça, pour être heureux, il va
être heureux le camarade Emile, c'est vraiment un superbe instrument!

NARCISSE BOULANGER: Bon, je crois que vous
ne m'écoutez pas beaucoup monsieur Verne!
EMILE VERNE: Si si Monsieur le maire, je
vous écoute, mais je suis vraiment très heureux de cette nouvelle
acquisition! On a tellement de problèmes à régler à la Musique que ce
cadeau me fait vraiment plaisir!
NARCISSE BOULANGER: Et bien, tant mieux,
tant mieux, et moi je suis bien content qu'on m'ait redonné ma
trompette. Je l'offre à Monsieur Coze, chef de la musique de Guînes en
1890 et une quinzaine d'années plus tard, elle est à vendre chez un
marchand d'instruments de musique à Dunkerque! C'est proprement
scandaleux. Heureusement qu'un de mes amis l'a vu en vitrine et a pu la
récupérer... et sans la payer! Sinon, je portais plainte.
EMILE VERNE: Vous avez raison Monsieur
Boulanger, c'est scandaleux!
NARCISSE BOULANGER: ça, c'est sûr, payer
deux fois un cadeau, c'est scandaleux! Je l'avais payé cher cet instrument!
EMILE VERNE: Ben oui... mais vous savez,
depuis le départ de monsieur Coze, on a eu un chef de musique tous les
trois quatre ans! Et je vous dis pas tous les problèmes que ça peut
causer!
NARCISSE BOULANGER: Et les soucis pour la
mairie, Monsieur Verne, que de problèmes!

EMILE VERNE: Vous savez, M'sieur le maire,
c'est pas nouveau à Guînes et c'est pas facile pour la musique
municipale car on a du mal à savoir qui s'occupe de quoi. Il y a trop de
structures, trop de groupes.
NARCISSE BOULANGER: Je vous comprends et
heureusement, Monsieur Verne, vous n'avez plus les fanfares des
établissements d'enseignement privé. Quand Liborel et Hennequin avaient
encore leurs écoles privées pour les inglais, les élèves défilaient en
ville avec fifres et tambours. Mais là heureusement, plus d'inglais! on
a été suffisamment envahis comme ça, hein M'sieur Verne?
EMILE VERNE: Si vous voulez, mais là
m'sieur l'maire, je suis inquiet avec l'arrivée de cette nouvelle
société de gymnastique: « la Jeanne d'Arc}) ils appellent çà.
NARCISSE BOULANGER: Et oui, un coup des
curés et de ce Leducq là, ce petit propriétaire qui voudrait bien marcher sur mes
plates-bandes.
EMILE VERNE: Oui mais le problème, M'sieur
le Maire, c'est que leur société de gymnastique se double d'une
musique.
NARCISSE BOULANGER: Ben voyons! Et ils
m'écrivent en mairie pour défiler dans les rues avec leur drapeau
déployé! c'est scandaleux, Verne, scandaleux! Ces curés veulent avoir
tous les droits!
EMILE VERNE: Oui, et voilà une autre
musique à Guînes, et il paraît même que monsieur Hyart, ancien chef de
la musique municipale, va s'occuper de la musique de la Jeanne d'Arc.

NARCISSE BOULANGER: J'vais vous mettre tout
ça au pas moi, ça va pas tarder! Je suis laïc moi, un vrai socialiste! et
je vais leur créer une autre société de gymnastique, tiens, j'ai même une
idée du nom: «la Patriote », je vais l'appeler, et je sais même à qui je
vais confier les rênes! Vous connaissez Arthur Ledent ?
EMILE VERNE: Euh, oui, c'est l'ingénieur de
l'Equipement.
NARCISSE BOULANGER: Et ben voilà, ce sera lui
le premier président de la Patriote, une belle société de gymnastique et
où on fera également du tir! Ca servira de préparation militaire! J't'en
foutrais, moi, des « un bon soldat de la France est en même temps un bon
soldat de Dieu» !
EMILE VERNE: Bon, mais deux sociétés de
gymnastique et de préparation militaire à Guînes, ça fait quand même un de
trop! Manquerait plus que la Patriote décide aussi de créer sa fanfare!
NARCISSE BOULANGER: Non, non, Monsieur Verne,
faites confiance à Narcisse Boulanger, je vais régler tout ça comme un bon
laïc socialiste que je suis, vous allez voir! Bon, allez, excusez-moi,
mais ma femme m'attend pour le dîner. Je suis content en tous cas, de vous
avoir reçu chez moi, c'est la première fois, je crois, que vous venez au
château du Tournepuits ?

EMILE VERNE: Oui, oui, c'est la première
fois, Monsieur le Maire! Vous avez là une bien belle maison, une belle
maison laïque et socialiste comme on en voit rarement! |