
B. d’Angerville:
Monsieur Cuisinier, vous n'êtes pas raisonnable!
A. Rébier:
Oh là ! C'est bien plus grave que ça
Monsieur le Maire, messieurs, le docteur Cuisinier n'en veut faire qu'à
sa tête, c'est un irresponsable
L. Watel:
Voilà, c'est ça, Adolphe à
raison, un irresponsable qui veut nous embarquer dans une vraie galère!
Avec des gens comme vous, Monsieur Cuisinier, Guînes sera bientôt en
faillite!
M. Fortin:
Ben oui docteur, avec la construction de la nouvelle mairie, ça commence
à faire des sous tout ça (tout le
monde renchérit)
V.
Cuisinier:
Messieurs, Messieurs, s'il vous plaît, messieurs, un peu de sérieux je
vous prie!
B. d’Angerville:
Mais je ne vois ici que des gens sérieux, M. Cuisinier, des membres
éminents du Conseil Municipal de la ville de Guînes, soucieux de la
bonne gestion des deniers publics.
V.
Cuisinier: Bien sûr, Monsieur d'Angerville,
je n'en ai jamais douté et là n'est pas mon propos mais tout de même...
Messieurs, nous sommes en 1864 et nous avions bien besoin d'une nouvelle
maison commune. Non?
M. Fortin:
C'est vrai que notre vieille mairie de 1810 était bien vétuste!
M.Lamarre:
Oh oui, oui, oui, c'est vrai c'qu'j dit Fortin, on prenoit des bouts
d'plâtre sur l'tête in pleine réunion. Même vous, M'sieur l'Maire, hein,
0' vous avait artrouvé tout blanc din eun' réunions d'conseil!

B. d’Angerville:
Oui, Lamarre, oui, c'est bon, tout cela, c'est du passé maintenant.
A. Rébier:
Et ça nous a coûté assez cher comme ça !
L. Watel:
Exactement,
les plans de Pichon peuvent être beaux et les travaux du maçon Ligny
peuvent être réussis: 40 000 francs qu'elle nous a coûté la nouvelle
mairie!

V. Cuisinier:
Vous avez raison messieurs, 40 000 francs pour avoir, enfin, une nouvelle
mairie, digne de ce nom, digne de notre population et ne l'oubliez pas,
Messieurs, n'ayez pas la mémoire courte, une mairie avec des règles de
sécurité nécessaires pour accueillir du public.
M. Fortin:
Là-dessus il a raison, le docteur Cuisinier, quand le plancher s'est
effondré, le jour de la vente des biens de la demoiselle Isaac, on a relevé
une bonne dizaine de blessés et là ...
V. Cuisinier:
Oui là, Monsieur Fortin, les élus de la ville étaient responsables!
B. d’Angerville:
Je dois reconnaître, Messieurs, que des témoins de l'événement m'ont
assuré avoir eu la
peur de leur vie et moi, je dois bien assurer que je suis bien content de
ne pas avoir été le maire de Guînes à cette époque.

V. Cuisinier:
Merci de votre franchise, Monsieur d'Angerville, et permettez-moi
d'insister: un superbe bâtiment comme notre hôtel de ville mériterait bien
d'avoir un peu de mobilier utile pour ceux qui y travaillent et qui, ne
l'oubliez pas, ont à recevoir du public, assurer un véritable service
public.
A. Rébier:
Et c'est reparti! Allez, on dépense, on
dépense !
M.Lamarre:
Ouais mais attindez là, faut tout dire hein! Nous, les pompiers, on est bin
contints des locaux de la mairie. On a même pu y déposer du matériel et'qu'habitude il est à l'grêle du temps!
M. Fortin:
Oui et sans oublier que la Musique peut y faire ses répétitions.
B. d’Angerville:
Je dois également adresser les félicitations
du nouveau juge de paix. Il trouve ses locaux parfaitement bien adaptés à
la justice cantonale!
V. Cuisinier:
et bien voilà mes chers collègues, à quoi bon continuer à discourir ainsi
pour faire l'acquisition de quelques bureaux et armoires et pour acheter
une nouvelle pompe aux sapeurs pompiers. Que de temps perdu alors que le
progrès n'attend pas!
M.Lamarre:
Ah, pour le matériel des pompiers, j'sus d'accord, hein! (il lève son
bras)

A. Rébier:
Monsieur Lamarre, taisez-vous avec vos
élucubrations de soldats du feu guînois ! Vous êtes grotesque!
Quant à moi,
messieurs les membres de la commission des finances, ma position est
claire: je suis contre la nouvelle dépense de 300 francs pour
l'aménagement de la mairie.
L. Watel:
Et moi, Léon Watel, deuxième adjoint au
maire, je suis contre cette dépense pharaonique et je rejoins l'avis de
mon camarade Adolphe Rébier, vous pouvez l'inscrire dans vos
délibérations! Pourquoi pas donner des sous aux gens aussi? Les nourrir,
les habiller, faire du social comme je vous l'ai déjà entendu le dire,
Monsieur le Docteur Cuisinier!

V. Cuisinier:
Et vous ne pensez pas si bien dire, Monsieur Watel. Et là, messieurs les
notables guînois, je vais vous parler de nos vieux, de nos personnes
âgées, de nos parents en quelque sorte. Qui se soucie de leur sort? De ce
qu'il s deviennent lorsque la santé et leur autonomie physique les ont
quittés. Comment vont-ils faire pour conserver un minimum de dignité
lorsque les biens familiaux n'existent plus. Et n'oubliez pas l'hygiène
déplorable de ces pauvres gens. Le choléra a fait des morts à Guînes,
Jean-Pierre Dambron en est mort! Ah oui, Monsieur le Maire et messieurs
les membres du Conseil Municipal, je vous le demande expressément et
urgemment, nous devons désormais réfléchir à la création d'un hospice pour
nos vieillards et nécessiteux. Et je vais même vous prouver, messieurs,
que je n'ai rien d'un anticlérical puisque je peux même vous annoncer que
des sœurs franciscaines seraient prêtes à venir servir dans cet hospice!

B. d’Angerville:
Là, Monsieur Cuisinier, vous allez trop vite. Je ne peux pas nier le
bien-fondé de vos intentions mais il faut être lucide: nous n'avons pas les
moyens!
V. Cuisinier:
Je pense surtout que vous ne voulez pas vous donner les moyens.
A. Rébier:
Et moi je pense que vous exagérez la
situation, monsieur Cuisinier. Vous en rajoutez pour nous faire peur. Vous
êtes un malin monsieur Cuisinier! Un fin politique!
L. Watel:
Tout ça c'est pour votre soif du pouvoir! Un
docteur, c'est intelligent, ça sait des choses, vous voulez nous imposer
vos idées de révolutionnaire.
A. Rébier:
On connaît votre passé communard, Monsieur
Cuisinier.
V. Cuisinier:
Et bien tant mieux messieurs, je ne renie rien de ce passé politique et
j'en suis d'autant plus fier quand je constate à quel point vous faites
preuve d'égoïsme, d'absence d'humanisme et d'un esprit enclin à rejeter
toute notion de progrès et de refuser de penser au bien être de votre
prochain.
B. d’Angerville:
Un peu de retenue, messieurs, nous n'allons pas nous insulter comme des
charretiers!
M.Lamarre:
(En donnant un coup de coude à fortin) Ah c'est bin c'soir! Ca va
chier!

V. Cuisinier:
Vous êtes au premier rang à la messe du dimanche mais dès que vous arrivez
en mairie vous avez tout oublié!
A. Rébier:
Et vous, monsieur Cuisinier, vous vous croyez
malin avec votre petit journal et avec vos idées soit-disant républicaines?

L. Watel:
Oui, tiens, j'en ai un là justement: « la
serinette , journal des merles rédigé par
un étourneau
}), c'est
bien de votre plume, ce torchon?
V. Cuisinier:
Oui j'en suis l'auteur et fier de l'être, messieurs les bien-pensants!
L. Watel:
Ah, c'est très intéressant, bien documenté,
je lis la première page: «notre foire a été favorisée par un temps
magnifique et il y avait beaucoup de bêtes. Entre autres, quand j'ai
traversé la placette, il y avait quantité de cochons: le maire préoccupé
par les prochaines élections; je me suis demandé si c'est bien là que je
rencontrerais le candidat de mon cœur et des électeurs bien-pensants. Si
je ne trouve pas ailleurs l'objet de mes recherches, je reviendrai
au prochain franc marché! }).
A. Rébier:
C'est insultant pour nous, les élus! Et c'est
comme ça à toutes les pages, tenez: « On entend dire tous les jours que le
conseil municipal de Guînes est composé d'un tas d'imbéciles. Ceux qui
disent ça aspirent à les remplacer au même titre}).
Et ce n'est
pas tout: « les gens du Marais vont assurément voter aux prochaines
législatives pour le candidat Pinart, lequel les autorise à continuer de
pêcher tanches, brochets et anguilles, autant de poissons d'eau douce
interdits depuis mi avril mais que l'on continue à trouver en quantité le
vendredi au marché. On achète des voix comme d'autres vendent des
anguilles» .

M.Lamarre:
Eh Fortin, j'comprins pon tout mais l'serinette à Cuisinier à l'a pon
l'air ed' lu plaire!
V. Cuisinier:
Messieurs, grand merci pour cette publicité faite à mon petit journal
local. Il me conforte dans mes idées mais surtout, je pense que je n'ai
plus grand-chose à faire dans cette assemblée.
On a agrandi la mairie mais votre esprit est resté bien étroit!

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