Mme Morgant:
Ah bravo! Alors là bravo Mme Bigot, vot’mari nous a fait là un
Morgant travail tout à fait remarquable. Quelle finesse, quel
décor, vos feuilles d'acanthes, les guirlandes, la dorure, voilà
vraiment du beau travail.

Mme Bigot:
Ben oui ? M’dame Morgant, ça peut être biau vous savez car il y a
passé un sacré bout de temps sur ce fameux dais.
Mme Morgant:
Oui - Oui - et, allez, hein on peut Mme Bigot, je vais vous le
faire comme on dit : « C'est un beau dais! »
Mme Bigot:
Ah vous êtes une marrante vous hein. Pourtant, tout ce que vot’mari
peignait là, ça n'a rien de marrant. Là bas, c'est la tête de
Saint Jean-Baptiste sur un plateau; là en face: la descente de
croix; de l'autre côté, c'est Saint Faron rendant la vue à un
aveugle. Pouh ! c'est pon gai tout ça !

Mme Morgant:
Et non ma brave femme, il n'y a rien de gai là dedans; quand on
travaille sur un sujet aussi délicat que la religion. Il passe
beaucoup de temps avec les Evangiles, Mme Bigot.
Mme Bigot:
Ah non mais c'est bien aussi hein c' qu'il fait vot' mari, M’dame Morgant,
j'aime beaucoup le Saint-Pierre que vot’mari fait là…
Mme Morgant:
Oui, un beau sujet de toile, riche en symboles; les clés, le coq.
Mme Bigot:
Ah oui. Ben j'crois bien qu'on va livrer nos commandes à l'église
en même temps; vous, votre Saint-Pierre et moi, mon dais de
procession.
Mme Morgant:
Ah, il va être content notre curé Montéuis; pour la prochaine
procession du Saint Sacrement.
Mme Bigot:
En qu'eq sorte on va gagner not paradis, hein?
Mme Morgant:
Oui, vous avez raison. C'est une façon de voir les choses.
Mme Bigot:
Et d'autant plus qu'vous vous en avez besoin M’dame Morgant, y' en
a qui vous en veulent à Guînes.

Mme Morgant:
Ah! Qu'est-ce que vous voulez dire par là ma brave femme.
Mme Bigot:
Ben, c'est des gens de la rue de l'Eglise qui disent ça, parce que
vous avez refusé l'alignement de vot’maison et du coup ça fait un
décrochement juste en face de la rue du Château, pas loin de la
tour de l'Horloge!
Mme Morgant:
Oui, Oui, oui j'ai refusé. On a que des embarras avec ce conseil
municipal. Y' en a qu'pour eux. Il a fallu une nouvelle mairie et
puis quoi encore.
Mme Bigot:
Vous avez raison, y' a pas que la mairie. On oublie l'église avec
tout ça. Heureusement qu'on est là M’dame Morgant.
Mme Morgant:
Et nous resterons dans l'histoire min Constant!
« Fait par
Constant Bigot en 1860 ».
Mme Bigot:
Et vous, ses toiles sont signées Eugène Morgant, ça aussi ça va
rester dans l'histoire et même dins les rues d' Guînes. Quand on
passera d'vant vot'maison on entendra jurer les millards di diu
parce que 2 carettes y zoront du mal à s'croiser, et ça M'dame
Morgant c'est pas catholique!
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