L'orgue se met à jouer très fort
- soudainement -
pendant une minute. Le curé râle, les
paroissiennes rigolent. Puis l'orgue joue plus doucement.

L'abbé: : Bon, - c'est fini là
Monsieur Ferdinand. C'est fini, on ne s'entend plus ici!
La paroissienne à l'orgue: Ouais M'
sieur le curé, os avez vu, hein? L'orgue i joue fort et pi M'sieur
Ferdinand i joue bin hein. D'pis l'temps qu'il est à l'orgue ed'Guînes
M'sieur Ferdinand, il n'in connaît un rayon vous savez.
L'abbé: Oui, bon ça va, c'est bien,
maintenant, vous et Monsieur Ferdinand, vous allez vous arrêter un
moment, le temps que moi aussi, je puisse faire ma répétition. Et j'ai
besoin d'un peu de quiétude pour tout ça. Je viens d'arriver à Guînes
depuis 3 jours et dimanche c'est ma première messe ici, alors j'ai
besoin de prendre mes marques, moi aussi j'ai besoin de répéter.
La première paroissienne:: Ouais
c'est ça M' sieur le curé, faut y aller là hein! parce que nous, on a
encore du boulot! les bannières à accrocher, fleurir l'autel, préparer
les bougies.

La seconde paroissienne: : et pis
donner un coup d' duelle aussi, al est un peu crapie l'église, M'
sieur le Curé, c'est pas digne du bon diu.
L'abbé: Oui c'est ça, c'est pas le
travail qui manque et vous n'oublierez pas de repasser et de préparer
mes vêtements liturgiques. Ils sont déjà un peu vieillots, manquerait
plus qu'ils soient froissés.
La paroissienne à l'orgue: Et ne
pas oublier de remettre des bougies ici, i fait pas clair à l'tribune,
M'sieur Ferdinand i s'esquinte les zius pour lire el' partition.
La seconde paroissienne:: Vi,
c'est vrai mais t'iras toi clotilde, l'escalier i l'est vraimint raide
pour aller à l'orgue.
La première paroissienne:
T'inquiète pas, j'irai t'à l'heure, mais là j'voudros bin cor aller.
. .
L'abbé: : Bon, c'est fini oui! Je
veux du silence maintenant, on m'écoute d'accord? Et vous me dites si
ma voix est bien audible et si elle porte bien.

La première paroissienne: : (assez
bas à sa voisine) Qué malheur! qu'il est compliqué c'nouviau curé.
La seconde paroissienne: : t'as
raison, ça nous change de not'vieux curé
(Pendant ce temps, le curé se racle la
gorge).
L'abbé: Oui mes chers amis de
Guînes, en cette belle année du seigneur 1876, je suis particulièrement
heureux de rejoindre cette paroisse Saint-Pierre, hum, hum. Heu, ça va
là? C'est bien? On m'entend bien?

La paroissienne à l'orgue: Fort bien
M'sieur le Curé, même d'ici j'ai tout compris!
L'abbé: Oui merci, mais les gens ne
vont pas s'installer à la tribune, c'est d'ici que j'ai besoin de savoir
si on m'entend bien, si l'abat son est bien efficace pour mon sermon!
Alors mesdames?
La seconde paroissienne: Moi
j'comprends pas tout c' quo dites M' sieur le curé mais on intind bin.
La première paroissienne: Oui c'est
bion M' sieur le curé, on entend bien, vous avez une belle voix, y aura
pas de problème dimanche matin.

L'abbé: (il parle plus bas,
relit son texte): Bon ça va pas être facile. Alors, où j'en étais?
En ce beau dimanche des rameaux, oui voilà, c'est ça, et je veux d'ores
et déjà vous dire tout mon attachement, tout mon dévouement...
La première paroissienne: Té sais,
faut pas l'contrarier. i'vient d'arriver. Il a besoin de trouver ses
repères!
La seconde paroissienne: Oui mais
t'as beau dire, ça nous change du curé Montéuis, l'i c'étot un brave
homme, à parler avec tout le monde, à aider les malheureux, tiens,
j'vais t' dire, c'étot un saint l'curé Montéuis !
(Le curé
continue à lire dans ses dents, il relit son sermon...)
La première paroissienne: Ah! j'suis
d'accord avec toi, il aurot donné s'chemise not' curé.
J'peux même et' dire qui s'privait d'minger
pour donner à ceux qui z' étaient vraimint dans la misère.
La seconde paroissienne: : Et qu'li,
c'est pon l'même genre, j'l'ai vu à tab', hier à midi, il a un rude coup d'fourchette el gaillard et
l'vin d'messe, il l'aime bin aussi.
(ça
rigole)
L'abbé: : Bon c'est fini vous
deux là hein ? Vous croyez que je ne vous entends pas peut-être? Et
arrêtez de parler de Monsieur Montéuis. Je sais, c'était un très brave
homme et il avait bien du mérite avec des paroissiennes comme vous! Et
maintenant, retenez bien mon nom: Gallais, Flo-ri-mond Gallais.

La première paroissienne & La
seconde paroissienne: : Oui oui M'sieur l'curé
La paroissienne à l'orgue: Gallais!
A bin comme ça on pourra juer à galets M' sieur l' curé! Bon allez c'est
fini là in bas, 0 pouvez reprendre vot' répétition M' sieur Ferdinand.
(L'orgue joue trente secondes et reste
sur une note)
L'abbé: Qu'est ce qui se passe
encore?
La paroissienne à l'orgue: (est allée
voir l'organiste) : C'est une touche qu'est restée collée
M'sieur l'curé. Va falloir l'réparer c't'orgue. 1824 qu'i datent
les orgues, c'est M'sieur Ferdinand
qui m'la dit, c'est vieux hein! et un peu usé!